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Le temps suspendu de l'enfance – Mon voisin Totoro (1988)

Le temps suspendu de l'enfance – Mon voisin Totoro (1988)

Mon voisin Totoro est l'un des films les plus emblématiques du studio Ghibli, réalisé par Hayao Miyazaki en 1988. Bien que souvent perçu comme un simple conte pour enfants, ce long-métrage explore avec une profondeur remarquable la notion du temps, en particulier celui de l'enfance, et la manière dont il se perçoit, se ressent et s'imprime dans nos souvenirs.

 

1. Le temps poétique et suspendu

Dès les premières minutes du film, le spectateur est plongé dans un rythme particulier, qui semble hors du temps. La famille Kusakabe s'installe dans une maison rurale ancienne, et les grands plans sur la nature environnante mettent en avant un temps étendu, presque tangible. Les journées sont longues, les heures s'écoulent doucement, et chaque instant devient l'occasion d'observer le monde avec émerveillement.

Contrairement à la représentation occidentale du temps, où chaque seconde compte, Mon voisin Totoro montre un temps vécu, organique, où le rythme est dicté par la curiosité et la perception intérieure des personnages. Les enfants, Mei et Satsuki, vivent leur temps comme un espace d'exploration, où chaque instant ordinaire peut devenir magique.

2. Le temps de l'émerveillement enfantin

Pour les enfants, le temps est subjectif. Mei, la plus jeune, ne distingue pas toujours le jour de la nuit ou l'instant de la durée ; elle se laisse guider par ses désirs et sa curiosité. Ses explorations dans la maison et le jardin, la découverte de Totoro et des créatures de la forêt, montrent un temps qui n'est pas mesuré par l'horloge mais par l'intensité des expériences.

Les séquences où Mei court dans les champs, où elle observe la forêt et où elle attend le bus-chat renvoient une perception du temps qui est totalement immersive et sensorielle. Les enfants vivent pleinement le présent, ce que les adultes oublient souvent. Le film illustre parfaitement la théorie selon laquelle l'enfance est une période où le temps semble s'allonger, chaque instant devenant dense et mémorable.

3. La nature comme mesure du temps

Dans Mon voisin Totoro , la nature joue un rôle central dans la perception du temps. Les saisons, les pluies, le vent et la végétation ne sont pas de simples décors : ils rythment la vie des personnages et donnent au spectateur une sensation de temporalité naturelle. La maison des Kusakabe est entourée de grands arbres, de champs et de forêts, qui deviennent des points de repère pour mesurer le passage des jours.

Cette approche du temps est profondément organique. Le temps n'est pas linéaire et mécanique, mais cyclique et lié aux phénomènes naturels. Les scènes où Mei et Satsuki interagissent avec les arbres ou attendent Totoro montrent que le temps est une expérience vécue, pas une contrainte à respecter. Miyazaki insiste ainsi sur la synchronisation entre l'humain et le rythme de la nature, une idée récurrente dans ses films.

4. Le temps et l'imaginaire 

Totoro, le personnage éponyme, incarne une autre dimension du temps : celle de l'imaginaire. La rencontre des enfants avec Totoro et ses compagnons se situe dans un espace où les règles du temps humain ne s'appliquent pas. Les créatures vivent dans un monde parallèle où le passé, le présent et le futur se confondent.

Cette suspension du temps permet à Miyazaki d'explorer les liens entre enfance et imagination. L'enfant peut interagir avec l'invisible, prolonger des instants magiques et faire l'expérience d'un temps fluide. La magie n'est pas seulement dans l'apparition des créatures, mais dans la façon dont le film fait ressentir au spectateur cette dilatation du temps, typique de l'enfance.

5. Le temps et la mémoire

Un autre aspect central est la façon dont le film traite la mémoire. Les moments vécus avec Totoro restent gravés dans les souvenirs de Mei et Satsuki. Le temps suspendu de l'enfance devient un capital émotionnel et mémoriel. En vieillissant, les enfants conserveront ces expériences comme des repères affectifs, des ancrages dans une temporalité personnelle unique.

La mémoire transforme les instants en éternité. Miyazaki souligne que l'enfance n'est pas seulement un âge de la vie, mais un espace où le temps se fixe et se conserve, prêt à nourrir l'imaginaire adulte. La simplicité apparente du récit cache une réflexion profonde sur la manière dont le temps vécu influence la perception de soi et du monde.

6. Le temps et la famille

Le film montre également le temps familial. La mère des enfants est hospitalisée, et cette absence crée un temps suspendu pour la famille. Les enfants doivent s'adapter, attendre et gérer leurs émotions dans un présent ralenti. Le temps est ici à la fois tension et ressource : l'attente de la guérison transforme chaque journée en un équilibre fragile entre inquiétude et découverte.

Cette dimension émotionnelle du temps fait ressortir l'importance des liens familiaux et la manière dont ils colorent notre perception du temps. Le film nous rappelle que le temps vécu n'est jamais neutre : il est teinté d'amour, de peur, de curiosité et de tendresse.

7. Le temps et le rythme narratif

Le rythme narratif de Mon voisin Totoro reflète cette approche du temps. Les événements majeurs sont peu nombreux, et les séquences sont longues et contemplatives. Miyazaki laisse le spectateur s'imprégner des lieux, des sons et des gestes. Les scènes de silence, comme celles où Mei explore la maison ou Satsuki écoute la pluie, sont des pauses qui matérialisent le temps suspendu.

Contrairement à de nombreux films occidentaux pour enfants, où le rythme est rapide et les péripéties nombreuses, Totoro a choisi la lenteur. Cette lenteur n'est pas de l'ennui : elle est au contraire une invitation à ressentir le temps, à l'éprouver dans sa densité et sa beauté.

8. Les symboles temporels

Plusieurs symboles du film renforcent cette idée de temps particulier. Le bus-chat, Totoro lui-même, et le grand arbre magique sont des repères dans le temps de l'histoire. Ils incarnent des moments de transition, des seuils où le temps humain et le temps magique se rejoignent. Ces symboles montrent que le temps peut être ressenti différemment selon la perspective adoptée : celui de l'enfant, celui de la nature, ou celui de la magie.

9. L'éternité dans l'instant

Enfin, Mon voisin Totoro illustre une forme de temporalité poétique : celle où l'instant devient éternité. Les moments simples – une course dans les champs, un regard émerveillé, une pluie soudaine – sont filmés de manière à laisser une impression durable. Miyazaki transforme le temps en émotion, prouvant que la durée n'est pas essentiellement linéaire pour être significative.

Le film nous invite à ralentir, à observer, et à vivre pleinement chaque instant, à retrouver cette capacité que nous avons souvent perdue à l'âge adulte : ressentir le temps dans sa plénitude.


Mon voisin Totoro est ainsi bien plus qu'un conte pour enfants. C'est une réflexion profonde sur le temps, l'enfance, la mémoire, et la manière dont nous pouvons vivre chaque instant avec intensité et émerveillement. Miyazaki nous rappelle que le temps n'est pas seulement une succession de secondes, mais une expérience sensorielle, émotionnelle et poétique, capable de créer des souvenirs éternels.

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